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La justice - Sujet Résumé Alain justice distributive et justice commutative

1) Sujet.

Résumez le texte suivant en 120 mots (+ ou – 10%). Vous indiquerez les sous-totaux de 20 en 20 (20, 40, 60 …) dans la marge et le nombre total de mots à la fin de votre résumé.

 

Dès qu’il faut un guetteur quelque part, on lui porte la soupe ; exemple qui fait voir que la valeur d’échange vient du temps dépensé, non de la chose produite ; car, dans ce cas remarquable, le produit est nul. On dira que la sécurité est un produit ; toujours est-il que la sécurité ne se pèse point et ne se mesure point, sinon par la durée du guet. On entrevoit alors cette grande vérité, que toute heure d’homme vaut une heure d’homme, et que ce qui fait qu’un certain poids de blé vaut un certain poids de café, ce sont les heures de travail, et rien d’autre. Une heure est échangée contre une heure, et voilà la justice ; ou bien, en langage d’or ou de papier, toutes les heures de travail méritent le même salaire.

Ici le grand guetteur, qu’on nomme roi, dresse les oreilles ; et autour de lui se pressent les moyens et petits guetteurs, qui sont des ouvriers d’attention, ce qui fait que tous ensemble ils règnent naturellement. Pensez seulement à la crainte qui vient des songes et présages, et vous comprendrez que le guetteur de songes, que l’on nomme prêtre, usurpe tout le pouvoir qu’il veut, même sur le roi, et se paie lui-même très généreusement. Contre quoi on a inventé cette idée admirable qu’une heure vaut une heure ; par exemple une heure en prière pour empêcher les morts de revenir, les morts qui sont remords, vaut une heure de charpentier, ni plus, ni moins. Ainsi s’est élevée l’antique guerre entre guetteurs et nourrisseurs.

Chacun travaille une journée, disent les nourrisseurs, et il a sa part des produits de la journée. Quoi de plus simple et de plus naturel ? Et en effet des naufragés sur une île ne vivraient pas autrement ; c’est que la nécessité les tient serrés. Dès qu’il y a un excédent, et des témoins de métal jaune, et des billets, et des trésors, et des coffres, on remarque qu’il y a abondance de guetteurs, et bien payés, qui se soutiennent les uns les autres, l’astronome tenant pour le roi, et le roi pour l’astronome, l’un et l’autre, prêtres en cela, faisant apparaître des dangers imaginaires. Tout l’art politique des guetteurs est à effrayer les nourrisseurs, lesquels versent alors le pain et le vin dans ces bouches effrayantes avec le vain espoir de les faire taire. Elles parlent en mangeant ; cela use les courages.

Pourquoi je remonte ainsi vers les temps pharaoniques, et même plus loin ? C’est que je vois naître un étrange socialisme, que je nommerai socialisme des guetteurs. Je me suis établi guetteur d’idées, et j’enseigne, comme tout vrai guetteur, que mon métier est le plus important de tous. Mais très justement, par mon métier, je veux que les idées soient bien rangées et vêtues de blanc et de rouge ; qu’on change les uniformes, et je suis perdu. Si je ne me trompe, l’idée de justice commutative, aboutissant à l’équivalence des heures de travail, c’est l’idée socialiste, ou, pour abréger, l’idée rouge. Et l’idée, au contraire, d’une justice distributive qui prétend mesurer l’importance des services, c’est l’idée royale, c’est l’idée blanche. Roi, patron, chef ou prêtre, il n’importe guère. Dès qu’un homme prélève mille, ou dix mille ou cinquante mille journées par an, pour trois cent soixante-cinq journées d’un travail qu’il juge important, et qui l’est peut-être, c’est l’idée blanche. Et dès qu’on prétend au contraire égaliser tous les salaires, d’après cette remarque évidente que les travaux les moins éminents sont aussi les plus nécessaires, c’est l’idée rouge. Ces idées ne sont que des idées. On ne verra jamais un régime purement commutatif ; encore moins un régime purement distributif, où il n’y aurait que des dignitaires, ou, comme je dis, des guetteurs ; car il faut manger. Il s’agit seulement de tirer vers l’une ou l’autre idée ; et c’est l’idée rouge qui est socialiste. On la dit aussi matérialiste, parce qu’elle rappelle les guetteurs de lune à la condition de manger, qui est basse. Mais convenons que par cette rude justice elle retrouve toute la justice, selon laquelle un homme vaut un homme. Au lieu que l’autre idée, rongée par les valeurs imaginaires, descend au plus bas, c’est-à-dire à la force assassine, qui est son contraire. Le résultat c’est qu’il n’y a de vil que l’idéalisme, et de noble que le matérialisme. Voilà ce qu’a le guetteur d’idées annonce quelquefois aux grands guetteurs, ses patrons. Convenons qu’il gagne bien mal son argent.

Alain, Propos d’économique (1934), LXXXII Dès qu’il faut un guetteur, propos du 19 août 1933.

 

2) Analyse (et remarques sur le texte).

Ce propos d’Alain traite de l’opposition entre la justice distributive et la justice commutative. La tradition distingue ainsi deux sens de la justice qu’elle attribue à Aristote en interprétant le livre V de l’Éthique à Nicomaque. La justice distributive aurait pour principe l’égalité géométrique, c’est-à-dire que des biens ou des honneurs sont répartis en fonctions des mérites. On ne donne pas la même part de viande à un champion des jeux olympiques et à un gringalet. Cette égalité est celle de deux rapports et suppose quatre termes (Éthique à Nicomaque, chapitre 6). La justice qu’on nomme commutative serait celle qui suit l’égalité arithmétique, c’est-à-dire où on donne la même chose à chacun (cf. Éthique à Nicomaque, chapitre 7).

En réalité, Aristote ne pense que la justice distributive qui respecte l’égalité géométrique, à savoir celle qui attribue des biens et des honneurs selon le mérite des personnes. Deux personnes ayant le même mérite auront la même part et réaliseront alors l’égalité arithmétique sur la base de l’égalité géométrique. Lorsqu’il traite de l’égalité arithmétique, c’est pour définir ce qu’il appelle la justice corrective, à savoir celle qui consiste à réparer des torts.

De la conception de la justice que l’on se fait découle le choix du meilleur régime politique. Aussi ce propos d’Alain s’inscrit-il dans l’antique question du meilleur régime.

Toutefois, le choix de son vocabulaire montre qu’il inscrit cette question dans l’actualité politique de son temps. C’est qu’en effet, il parle d’un régime inconnu des Anciens, au moins du point de vue théorique : le socialisme. Et c’est un certain socialisme qu’il refuse.

Alain commence par démontrer que la valeur d’échange d’un produit (à savoir sa valeur en tant qu’on le vend qu’il faut distinguer de sa valeur d’usage, c’est-à-dire quant à ses qualités propres et au besoin qu’il satisfait) ne lui appartient pas en tant que telle mais qu’elle réside dans le temps consacré à le réaliser (c’est la doctrine de l’économie classique, y compris marxienne). Pour cela, il montre qu’on va rémunérer un guetteur qui annonce le danger quoiqu’il ne produise rien de tangible comme un producteur. Nous pouvons pour notre part nommer service une telle activité. Du point de vue de la valeur d’échange, le temps de travail d’un homme vaut celle d’un autre, quels que soient les travaux.

Ensuite, il énonce que les dirigeants qu’ils nomment métaphoriquement « guetteurs », à savoir les rois et surtout les prêtres, prélèvent une grande part de la valeur comme rémunération de leur activité. Un tel prélèvement est pour lui une usurpation. Il note donc qu’on lui a opposé l’idée de l’égalité du temps de travail, c’est-à-dire le fondement de la valeur d’échange. D’où un conflit entre ceux qui produisent et ceux qui rendent des services en dirigeant.

Les seconds s’appuient sur les surplus produits. Leur procédé consiste à inventer des dangers dont ils sont les remèdes.

Alain justifie son analyse en énonçant qu’il lui faut mettre de l’ordre à cause d’un socialisme des dirigeants qui apparaît de son temps. Il précise qu’il appartient bien à ceux qui rendent des services et comme tout « intellectuel », il est dans le camp des dirigeants. Mais son travail est de mise en ordre des idées. Aussi distingue-t-il deux idées de la justice, l’idée de justice distributive selon laquelle la valeur du service est d’autant plus importante qu’on est haut placé. Il la nomme royale et donc blanche selon la couleur des partisans du roi. Il lui oppose l’idée de justice commutative selon laquelle quelle que soit l’activité, la rémunération est proportionnelle à la seule durée. Il qualifie chacun des régimes purs correspondants d’utopiques.

Mais il marque clairement sa préférence pour l’idée de justice commutative en tant qu’elle se fonde sur l’égalité des hommes. Il finit par faire remarquer qu’en le disant, il mérite mal de ses maîtres, à savoir les dirigeants politiques. C’est là l’essentiel et le sens de son propos.

 

3) Proposition de résumé.

Rémunérer un service montre que la durée du travail est la valeur d’échange. Pourtant, monarque et religieux marchands d’ [20] oracles, se paient largement. L’idée d’équivalence du temps de travail en fut le juste contrebalancement. Les producteurs tiennent [40] à cette mesure. Les prestataires de service captent les excédents produits en inventant des menaces qu’ils écartent.

Mon service, [60] penser, refuse le socialisme du service : je veux ordonner les idées de justice. À gauche, la justice commutative aux travaux [80] égaux. À droite, la justice distributive aux prélèvements proportionnels aux mérites sociaux. Si le socialisme comme une société de dirigeants [100] sont des idées, la vraie justice est dans l’égalité entre les hommes. L’énonçant, je sers mal mes maîtres.

120 mots.

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