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Le mal - Sujet/Corrigé - résumé Alain éloge de Lucrèce

Résumez le texte suivant en 120 mots (+ ou – 10%). Vous indiquerez les sous-totaux de 20 en 20 (20, 40, 60 …) dans la marge et le nombre total de mots à la fin de votre résumé.

 

L

ucrèce 1, le poète matérialiste, loue son maître Épicure 2 d’avoir tué l’âme, comme s’il suffisait, pour ne plus craindre la mort, d’être assuré de mourir tout entier. Bien plus, il semble croire, et il dit que celui qui ne craint plus ni la mort, ni les dieux, est délivré aussi des passions méchantes. Dans l’autre parti on dit, au contraire, que la religion sert au moins à nous adoucir et à nous consoler. Le débat est ouvert encore ; on n’a point cessé de lire Lucrèce, ni de réfuter Lucrèce. Je veux considérer seulement les effets. Peut-on dire que la religion rende les hommes méchants ?

Sûrement, elle les rend tristes. L’office des morts ne veut pas être consolateur ; les chants portent l’effroi par la seule résonnance. Qu’est-ce alors si l’on croit ce qu’ils annoncent ? Les moines que j’ai vus n’étaient pas gais. Les vrais croyants que j’ai connus vivaient selon la peur. Ceux qui m’ont enseigné la religion m’enseignaient la peur. Ils avaient de terribles histoires, qui m’empêchèrent souvent de dormir vers mes dix ans ; et le prédicateur n’avait pas moins peur que moi. On dira que c’est superstition, non religion. Savoir. Les jansénistes prouvent que le meilleur des hommes a encore des raisons de trembler. Je suppose que ce qui attriste les consciences religieuses, c’est l’incertitude du grand jugement qui viendra comme un voleur, sans ménager les timides, ni les innocents. Dépendre d’une puissance qu’on ne peut absolument comprendre, c’est cela qui assombrit l’homme. Pour moi je reviens au poète, qui me paraît sonner juste. Je revois avec lui le sacrifice d’Iphigénie 3, chose horrible et inhumaine. Certes, je l’ai su et je l’ai vu, le temps des sacrifices humains n’est pas si loin de nous. Y a-t-il un lien entre cette peur et cette méchanceté ?

Il se pourrait. Les passions ont cela de remarquable qu’elles se développent sur un fond commun de tristesse, sur une sorte de régime aigre et mécontent, qui n’est pas plus fureur que peur, et qui même n’a pas de nom. Je crois avoir compris que le passage de la peur à la fureur est naturel et commun dans l’homme. Et, en somme, je n’attends ni secours, ni amitié, ni rien de bon, d’une nature qui n’est pas chez elle dans ce monde-ci, qui n’est pas adaptée, et qui saute sur elle-même en ce plein jour comme les enfants dans la nuit. Le dieu ici ne joue guère ; c’est la peur qui mène le jeu ; et la peur, comme on sait, n’a pas besoin d’objet ni de raisons. Quelle pensée y a-t-il dans la peur ? La pensée d’autre chose que ce qu’on voit et que ce qu’on touche ; de quelque chose qui est caché, qui tourne autour de l’arbre, qui est derrière la porte, qui marche derrière nous. La peur qui habite les bois, et qui les fit dire sacrés, c’est toute la peur peut-être. Et, dans le fond, c’est croire que ce monde-ci n’est pas vrai, et qu’il y a quelque chose derrière. Je n’entends pas par là ce qu’on veut quelquefois appeler mystère, et qui n’est point mystère, comme les choses qui sont très loin ou les choses qui sont très petites ; car celui qui prend le monde comme il est ne veut point dire qu’il sait tout ; seulement, des choses éloignées ou petites il pense, comme Arlequin, que c’est partout comme ici. Le mystère, selon la doctrine de la peur, est aussi bien dans une chose familière et connue ; ce n’est pas au télescope ni au microscope qu’on le verra mieux. Je conclus que se sentir mener par d’autres puissances, indicibles, par d’autres causes, indicibles, cela ne peut rendre l’homme doux et facile. À l’homme qui voit noir, tout est noir ; la sérénité lui est importune ; il trouve très naturel que l’on soit malheureux.

Par ces chemins, j’arrive à comprendre assez un paradoxe très choquant. Car nous avons maintenant une religion de grâce, de pardon et de fraternité. Grande annonce de paix. Mais j’interroge maintenant les visages où la guerre est annoncée, on dirait presque désirée à force d’être attendue. J’y trouve, certes, des hommes qui se disent incrédules ; mais surtout j’y vois beaucoup trop de vrais croyants, que la religion n’a point délivrés d’être méchants pour les autres et pour eux-mêmes. Et cela me ramène à comprendre que les hommes sont toujours les mêmes, et que les vrais dieux, si je puis dire, sont toujours les mêmes dieux. Je remonte au sacrifice d’Iphigénie et aux folles idées des vents et des flots que formaient ces hommes cruels. Mal adaptés, dirais-je ; car, dans la pire tempête, si vous nettoyez bien vos lunettes de chair, par lucide expérience, il s’agit de bien ramer et de tendre la voile comme il faut. Et cette autre manière de naviguer, par le sang d’une vierge et fureurs folles du même genre, j’y vois l’effet d’une peur adorée, et l’horrible tremblement du fanatique. À quoi ne peut remédier la lumière du soleil, qui n’y peut rien, mais seulement le lucide regard de la raison éclairant l’expérience. Voilà comment je suivais le poète, essayant, comme il dit, de poser mes pas sur la trace de ses pas.

Alain, « Éloge de Lucrèce », propos du 27 février 1932 in Propos, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1956, pp.1060-1062.

 

1 99-55 av. J.-C., poète et philosophe latin, disciple d’Épicure, auteur d’un long poème philosophique, De natura rerum (De la nature).

2 341-270 av. J.-C., philosophe grec, matérialiste.

3 Fille d’Agamemnon et de Clytemnestre que son père sacrifia. Au moment de voguer vers Troie pour y reprendre Hélène, la flotte grecque est bloquée par des vents contraires. Le devin Calchas révèle alors que pour se la rendre favorable, la déesse Artémis exige le sacrifice d’Iphigénie. Son père la fait venir sur les lieux du sacrifice sous le prétexte qu’elle va se marier avec Achille. D’après L’Orestie d’Eschyle (525-456 av. J.-C.), elle fut tuée. Dans son Iphigénie en Tauride, Euripide (485-406 av. J.-C.) la fait enlever par la déesse et remplacer par une biche. C’est l’exemple que prend Lucrèce dans son poème pour dénoncer les crimes de la religion qui suit donc la version la plus ancienne. Notes de Bégnana : ne pas en tenir compte pour le résumé.

 

Corrigé

 

1. Analyse du texte et remarques.

Comme son titre l’indique, Alain fait l’éloge de Lucrèce en montrant en quoi une de ses thèses reste pertinente. Il rappelle d’abord la filiation philosophique de Lucrèce, celle d’Épicure et leur thèse commune, à savoir que la mort n’est pas à craindre (cf. Épicure, Lettre à Ménécée et Maximes Capitales). Il précise que Lucrèce a une thèse spécifique, à savoir que ne pas craindre la mort et les dieux, c’est se délivrer de toute méchanceté. On reconnaît le fameux Tantum religio potuit suadere malorum ! (« Tant de maux la religion a fait ») du De natura rerum. Il énonce la thèse des adversaires de Lucrèce pour qui la religion produit un effet bénéfique sur l’existence humaine. Il formule alors le problème qui consiste à savoir si la religion rend mauvais les hommes.

Alain montre d’abord en quoi elle les rend tristes. Il s’oppose donc à la thèse qui veut que la religion console. L’explication en est l’idée d’une puissance incompréhensible qui peut tout. Alain peut alors en venir au sacrifice d’Iphigénie comme Lucrèce, indique-t-il, l’avait fait.

Il montre ensuite en quoi il est possible de penser que la méchanceté se situe sur un fond de peur en s’appuyant sur l’idée qu’il y a, innommé, dans les passions, un fond commun à la peur et à la fureur. De la peur à la fureur la conséquence est bonne montre-t-il car la peur double le réel phénoménal d’un arrière-monde capable de tout. Il n’est pas selon lui le mystère. La raison en est que celui qui nie un arrière-monde pense que les choses inconnues sont de même essence que les connues alors que celui qui y croie rend mystérieux ce qu’il y a de plus familier. Dès lors, pour le partisan de l’arrière-monde, le malheur apparaît comme le fond de la condition humaine. On comprend qu’il puisse être méchant sans mauvaise conscience.

Enfin, Alain pense qu’il est ainsi possible de rendre compte de la contradiction apparente entre la religion de pardon et de paix – et on reconnaît la religion chrétienne – qui prône des vertus douces et qui pourtant s’accompagne de conflits sanglants. C’est qu’elle a échoué à transformer les croyants. Ils restent égaux à ceux du paganisme. Les dieux ne changent pas non plus que les hommes. Et leur méchanceté à l’instar du sacrifice d’Iphigénie vise à se concilier les événements qu’ils pensent sous la domination des dieux alors qu’ils ne sont que la projection de leur peur. Alain peut opposer enfin aux sombres et effrayantes religions l’expérience qui permet d’agir sur les événements. Il faut une condition : la lumière de la raison Il finit par indiquer que son propos a consisté à suivre la pensée de Lucrèce.

 

2. Proposition de résumé.

Lucrèce soutenait que la religion rend mauvais. On lui opposa qu’elle soulage. Nous rend-elle mauvais ?

Elle fait peur (20) avec sa divinité aux intentions obscures. Lucrèce voyait ainsi le sacrifice d’Iphigénie. Peur et méchanceté sont-elles liées ? Peut-être (40) à cause du fond innomé des passions. La peur rend violent. Elle suppose une réalité autre que phénoménale, de l’ (60) inexplicable dans le familier. Se croyant mené par des puissances inconnues, l’homme pense normal le malheur.

Malgré l’actuelle (80) religion d’amour, les hommes cherchent le conflit. Car les croyants restent effrayés par les mêmes dieux. Aux puissances faisant (100) les événements, il faudrait préférer l’action empirique. Seule la raison peut dissiper la peur. Ainsi pensais-je selon Lucrèce.

120 mots.

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